Lido Biscuits



J’entre en service le premier lundi de septembre. J’ai déjà deux chèques sur mon bureau. Le président me présente au personnel. Je visite l’usine qui, naturellement, est différente de celle de Lever. Tout est nouveau pour moi, mais les produits sont vendus aux mêmes clients que les produits Lever. En attendant mon entrée en service, c’est le président qui agit comme directeur des ventes. Après les présentations d’usage, j’ai eu une conversation avec le président. Il aurait aimé que j’entre en fonction immédiatement, mais j’ai préféré attendre. 

J’ai pris trois semaines pour étudier les produits et prendre connaissance des dossiers de chaque vendeur; il y en avait trente. Durant ces trois semaines, j’ai appris beaucoup de choses. Les vendeurs étaient mal rémunérés, et la marchandise manufacturée était de pauvre qualité. En principe, il n’y avait personne qui était complètement responsable des différents départements. En somme, c’était un « one man show ». 

Après cette période d’étude, j’ai bien vu que j’aurais une dure tâche à faire pour améliorer tout cela, mais mon expérience chez Lever me servira. Je me suis dit qu’après tout, je pourrai toujours retourner au magasin; autrement dit, j’étais beaucoup plus indépendant qu’à mon entrée chez Lever. J’annonce au président que j’étais prêt à prendre le commandement. Je crois qu’il avait hâte de se débarrasser de tout cela, car avec la production qui flanchait, c’était trop pour un homme. 

Je fais ma première assemblée de vente avec un gant de velours. Je voulais connaître de près chaque vendeur. Je les ai avisés qu’il y aurait un ajustement de salaire d’ici deux semaines. Un petit goûter avait été préparé. J’ai discuté avec chaque vendeur, et nous nous sommes séparés amicalement. 

J’ai appris d’un vendeur senior, que j’avais fait bonne impression et que les vendeurs sont heureux d’avoir un gérant à eux. J’ai dit au président que pour les deux prochaines semaines, je ne serais pas au bureau, mais sur la route avec différents vendeurs, pour constater ce qui se passe sur le terrain. Je suis aussi allé visiter la succursale de Québec, où il y avait un gérant et sept vendeurs. 

Après trois semaines au bureau, et trois sur le terrain, j’avais une bonne idée des changements que j’aurais à faire. Ma première rencontre comme directeur des ventes avec le président, a coûté à la compagnie $90,000. Voici les détails : pour me permettre de demander aux vendeurs ce que je voulais obtenir pour augmenter la distribution et la vente de nos produits, je me devais de faire un ajustement substantiel des revenus de chaque représentant. C’est une dépense de $45,000 par année. Après avoir examiné nos produits dans les magasins, il y avait beaucoup de biscuits en mauvaises conditions. Pour ramasser et jeter au dépotoir cette marchandise, cela représentait une perte de $45,000. Inutile de dire que le président s’est levé de sa chaise en me disant que c’était impossible. En plus, j’ai demandé «carte blanche» pour faire les changements nécessaires au niveau du personnel. 

Il m’a demandé une journée de réflexion. Il n’avait pas le choix, et j’ai obtenu son accord. Le président ne le regrettera jamais. Sur 32 vendeurs, il y en avait 6 qui avaient un salaire passable. Les autres recevaient un salaire de famine et en retour, donnaient un rendement de famine. 

À l’assemblée, j’annonce, tel que promis, l’ajustement de salaire: "Vous aurez votre augmentation sur votre prochain chèque de paye. J’espère que ceci vous encouragera à faire un meilleur travail. En plus, vous aurez une commission pour toutes les ventes qui dépasseront vos quotas." 

Graduation de Mado
Dans certains cas, cela représentait de $40 à $50 par semaine de plus. Nous avons commencé à faire le grand ménage dans les magasins. Les camions revenaient remplis, et avec plus de biscuits qu’ils n’en avaient livrés. Cela s’est poursuivi pendant des semaines, et la compagnie a perdu plus de $50,000 dans les quatre premières semaines. Comme nous avions un problème de production, il a fallu faire des changements. Nous avons engagé un nouveau gérant de production, qui a corrigé les méthodes de fabrication. Après un certain temps, nos produits sont devenus de très bonne qualité. 

Je suis entré en fonction au mois de septembre, et nous avons terminé l’année avec un chiffre d’affaires de deux millions deux cent vingt mille dollars, mais une perte de $80,000. En janvier, le département des ventes a commencé à produire. Mon expérience 

prise chez Lever Brothers a été très utile; la différence c’est que les produits Lido sont périssables. Nous avons terminé l’année suivante avec un profit de $85,000, pour un chiffre d’affaires de trois millions cent dix mille dollars. 

Le gérant général a démissionné, et a été remplacé par un jeune ingénieur qui a procédé a plusieurs changements. Les ventes continuaient à augmenter à pas de géant; déjà il était évident que notre usine serait trop petite et mal équipée, pour absorber beaucoup plus de volume. Nous avons doublé le chiffre d’affaires en trois ans. 

Nous avons engagé un comptable qui a coûté cher à la compagnie. Malgré les protestations du gérant général et du gérant de production, ainsi que des miennes, il a réussi à convaincre le président d’installer un système IBM. Nous ne saurons jamais ce que le système a coûté à la compagnie mais c’est plus de $200,000. Le département des ventes a été le plus affecté. 

Janine
Après quatre mois d’opérations, le système n’a pas été capable de nous donner des chiffres de ventes. Nos vendeurs devaient faire la perception des comptes sans état de compte. La commission des vendeurs était payée d’après les ventes de la même période de l’année précédente. Heureusement que la compagnie avait une bonne crédibilité, car autrement, c’était suffisant pour fermer les portes. À une assemblée spéciale, il a été décidé de mettre le système IBM à la porte, et le comptable aussi. 

Il s’est écoulé une année avant que tout soit rentré dans l’ordre. J’ai ouvert le territoire de l’ouest, et aussi une partie des États-Unis. Cela a contribué à faire grimper nos ventes à 5 millions. L’usine ne pouvait plus en prendre; il a donc été décidé de construire une nouvelle usine à St-Lambert, qui deviendra l’usine de biscuits la plus moderne en Amérique. 

C’est en 1960, au printemps, qu’a eu lieu l’ouverture de notre nouvelle usine. Après l’ouverture, notre gérant général a donné sa démission. Je dois donner crédit à cet homme, car c’est lui qui a tout fait pour mener à bien ce projet, mais il était trop fort pour demeurer à ce poste, et je crois qu’il a compris que travailler pour une entreprise familiale, n’était pas ce qu’il y avait de mieux pour son avenir. Il est maintenant propriétaire d’une grande compagnie, et je crois qu’il est millionnaire. 

Le président, qui avait eu une crise de cœur en 1957, ne s’est jamais rétabli. Par la suite, j’ai été appelé plusieurs fois à le remplacer, ce qui plus tard, me causera des ennuis avec la famille. C’est un peu le défaut de nos compagnies canadiennes françaises. 

Plus le président était absent, plus je travaillais. J’étais heureux de le faire, car j’aimais bien cet homme, et j’étais son bras droit. Je n’ai jamais compté mes heures de travail. Je me demande encore pourquoi je n’ai pas fait un infarctus. 

J’ai toujours eu l’impression que le président était un homme malheureux. Il avait été marqué par la guerre. Il avait été officier dans l’aviation outre mer, et beaucoup de ses hommes y ont laissé leur peau. C’est après son retour prématuré, que son père est décédé et qu’il a hérité de ce commerce. Mais son oncle était partenaire, et ce n’était pas un bon mariage. Il a été obligé d’acheter les parts de l’oncle, mais à ce moment, la guerre n’était pas finie et le commerce était excellent; tout se vendait et les profits étaient fabuleux. Le fils du président était un jeune homme qui avait des qualités de chef. Il a terminé ses études à Harvard, et il était bien préparé pour prendre la relève. Cependant, sa santé était trop fragile pour qu’il puisse tenir le coup longtemps. Ses décisions étaient souvent prises sans avoir peser le pour et le contre. 

J’avais trouvé un homme pour m’aider dans mon travail. Mon idée était de lui donner un entraînement solide, afin qu’il puisse, plus tard, me remplacer. Le président en a décidé autrement; il m’a promu au poste de vice-président et directeur des relations extérieures. Malheureusement, mon remplaçant, même s’il possédait plusieurs qualités, n’était pas prêt pour assumer les responsabilités de directeur des ventes. D’ailleurs, son règne a été de courte durée, puisque après six mois tout au plus, la compagnie avait subi des pertes en argent et en personnel.


Avec l'Abbé Pierre
Depuis que j’étais chez Lido, j’avais suivi des cours de vente, publicité et mise en marché. J’étais membre du Board of Trade et de la chambre de commerce, président de l’association des grossistes, membre du Club Canadien et des Fusiliers Mont Royal. Après avoir subi avec succès mes examens à l’université et au Board of Trade, je me devais de faire profiter de mes expériences, celui qui devait un jour prendre ma place.



Tout marchait si mal, que le président a dû recourir aux services de consultants. Après une étude qui a duré un mois, les consultants ont suggéré au président de congédier le gérant des ventes et de me demander de reprendre mon poste de directeur des ventes. 

J’ai refusé ce changement, car le département des ventes que j’avais laissé en bon état six mois plus tôt, accumulait déficits et pertes de volume. Les vendeurs n’avaient pas accepté le nouveau gérant des ventes. En plus du désordre qui régnait dans la force de vente, la production s’acheminait vers un désastre. Un nouveau gérant de ce département avait été engagé par le président, sans au préalable prendre les renseignements nécessaires pour confier un poste aussi important. Ce qui n’aidait pas ce gérant, c’est qu’il était Anglais et ne parlait pas un seul mot de Français. Il n’a pas obtenu la collaboration des hommes clef de son département. Avant d’être remercié de ses services, il a coûté une fortune à Lido Biscuit, en argent et en pertes de ventes, causées par des produits qui ne rencontraient pas les normes. 

À ce moment critique de l’histoire de Lido, le président avait pris la décision de vendre la compagnie, mais il en gardait le secret. J’ai reçu une offre du gouvernement de faire un voyage d’étude en Europe. Après mûre réflexion, j’ai accepté. Nous étions quatre personnes : le président d’une compagnie qui plus tard, achètera Lido Biscuit, un directeur de cette même compagnie, un consultant qui avait fait l’étude des affaires de Lido et moi-même. 

VOYAGE EN EUROPE 


Nous partions pour un voyage d’un mois. Première étape, l’Angleterre. Mon but était de visiter des compagnies de biscuits bonbons, et d’étudier les possibilités d’exporter nos produits en France. Deux personnes se sont dirigées directement à Paris, alors que le consultant et moi nous sommes rendus en Angleterre avec l’entente de les rencontrer à Paris, dans une semaine au plus. 

Depuis six ans, j’avais introduit sur le marché canadien, des bonbons manufacturés en Irlande. J’ai décidé d’aller visiter cette usine. J’ai été très bien reçu par les dirigeants de cette compagnie, et j’ai appris beaucoup de choses au sujet de la production. 

À mon retour à Londres, je me suis installé à l’hôtel et j’ai visité plusieurs manufactures qui en somme, étaient moins bien organisées que la nôtre. Je me suis gardé une journée pour me rendre à Lever House. Une très agréable surprise m’y attendait. 

En arrivant dans le hall d’entrée , il y a deux grandes plaques en marbre, sur lesquelles sont écrits les noms de tous ceux qui sont morts au champs d’honneur, ainsi que les noms de plusieurs officiers qui avaient reçu des décorations de guerre. Ma surprise, c’est quand j’ai vu mon nom sur un des tableaux avec mention «SERVICES RENDUS AU PEUPLE DU CANADA», et en Français s’il vous plaît! 

Je me présente au gardien, un grand homme bien costumé sourire aux lèvres. Je suis reçu comme un membre de la famille. Après avoir visité les usines et le bureau, j’ai rencontré M. Edouard, que j’avais eu le plaisir de connaître à Montréal. Il est surintendant pour tous les pays où Unilever fait des affaires. C’est un «big shot». Il m’a demandé s’il y avait des choses spéciales que j’aimerais voir: "M. Edouard, j’ai tellement lu et entendu parler de Port Sunlight, que j’aimerais bien visiter cette petite ville construite par Lord Lever, pour les employés de Lever Brothers." Il me demande quand je serais libre, et dit que tout sera organisé pour 8h30 demain. Une voiture me prendra à l’hôtel. J’ai été retenu plus d’une heure par M. Edouard pour parler du Québec et aussi de moi. J’aurais aimé rencontrer M. Nairn, mais malheureusement, il est retraité depuis plusieurs années et ne demeure pas à Londres. Après cette très agréable rencontre, je retourne à mon hôtel. 

Le soir, mon ami le consultant et moi sommes dans la grande salle à dîner, à la table voisine il y a une dizaine d’employés de l’Hydro Ontario. Ils sont venus étudier pour deux semaines. Ils ont du plaisir. Nous venons juste de prendre un apéritif, quand on vient me remettre un télégramme. Une vraie bombe: "deux jumelles nées aujourd’hui, la mère et les petites sont bien. Ton épouse Octavie." 

Les commis de bureau ont compris que j’étais le père de ces deux bébés, et le message a fait le tour de la salle à dîner. Une grande bouteille de champagne arrive à ma table avec une carte de félicitations de la direction de l’hôtel. Le groupe de l’Ontario nous demande si nous voulons venir à leur table. D’autres bouteilles de champagne, les verres arrivent de plusieurs autres tables. C’est la fête. À 10h30, nous étions encore à table, quelqu’un se lève pour un petit discours, il me félicite au nom du groupe, tout le monde applaudit. Je n’ai d’autre choix que de remercier tout ce monde, qui a montré tellement d’amitié et de gentillesse pour moi. Quand j’ai expliqué qu’il y avait eu erreur, et que j’étais simplement le grand-père des jumelles, les applaudissements ont recommencé de plus belle et la fête aussi. J’ai dû chanter «Alouette» plusieurs fois. Tout s’est terminé à minuit. On dira que des gens de Toronto et de Québec ça ne marche pas ensemble. Moi je dis que nous sommes devenus amis lors d’une petite soirée improvisée. 

Le lendemain à 8h30, la limousine est à la porte de l’hôtel, et un chauffeur costumé se présente au comptoir et me demande. Je termine mon petit déjeuner et nous partons pour Port Sunlight. Le trajet est splendide. Cette petite ville est à 75 milles de Londres; nous arrivons à 10h30. le chauffeur me dit qu’il est à mes ordres. Je commence par visiter, et je trouve tout, tel que je l’avais imaginé, après avoir lu l’histoire de Port Sunlight. 

C’est là que Lord Lever a commencé à faire du savon et à le vendre. Il a donné le nom de Sunlight à son savon. Il vendait le savon en bloc de 50 livres, et le détaillant servait ses clients suivant la quantité qu’ils désiraient. M. Lever était un homme de grand talent, et il travaillait surtout pour l’avenir. Un jour il eut l’idée de couper le savon en morceaux d’une livre. L’innovation a été surprenante. C’était la première barre de savon à être vendue de cette manière dans le monde entier. 

Plus tard, il constate que la présentation serait beaucoup plus acceptable si chaque barre était enveloppée et le nom imprimé. C’est à ce moment que le nom Sunlight est entré sur le marché, et deviendra le savon qui se vendra le plus au monde. Aujourd’hui, c’est le seul savon de sa catégorie qui est encore en vente et il le sera pour longtemps. En 1937, le Sunlight est introduit au Québec, mais pour le consommateur de langue française, il adoptera le nom de Savon Soleil. J’ai eu l’honneur d’introduire ce fameux savon dans la province de Québec. 

Sunlight est le seul savon 100% pur. Lever Brothers était fier de ce produit. Pour garantir la pureté du Sunlight, voici ce qui était imprimé sur l’étiquette : "une prime de $5000 sera donnée à qui prouvera que ce savon fabriqué par Lever Brothers Ltd., contient une falsification nuisible." En plus d’un demi siècle, cette prime n’a jamais été réclamée. 

À Port Sunlight, tout est magnifique; les maisons sont toutes construites sur de grands terrains, avec jardin et parterre de fleurs. En général, les maisons se ressemblent mais l’ensemble est agréable à voir. Il y a trois chapelles, une salle paroissiale, un système de protection contre les incendies, un théâtre, une bibliothèque, des terrains de jeux, des écoles, etc. 

Toute la population travaille pour Lever Brothers. Chaque famille a sa maison, à un coût dérisoire, mais qui demeure la propriété de Lever. Bien que ce projet très humanitaire ait reçu de grandes félicitations de la part des gouvernements et du peuple, l’expérience de M. Lever n’a pas été concluante. Après quelques années, il a réalisé que des personnes qui travaillent ensemble dans la même usine, n’aiment pas nécessairement demeurer ensemble après les heures de travail. C’est pourquoi M. Lever n’a plus jamais construit d’autres villes. 

Après avoir visité la ville, je me suis rendu à l’usine principale. Mes premières constatations ont été la vieille machinerie qui a été fièrement conservée, et qui fonctionne très bien. J’ai été également très impressionné par le personnel. Tout se fait lentement, il semble que personne ne travaille. Une journée de production à Port Sunlight pourrait se faire en une heure à l’usine de Toronto. J’ai questionné le guide à ce sujet. Il m’a dit que c’est la règle, et que la compagnie ne songe pas à changer le système. Les bénéfices sociaux sont excellents. Bien que les salaires sont de beaucoup inférieurs aux nôtres, tout est compensé par les bénéfices que reçoivent les travailleurs en cas d’accidents, de maladies, etc. 

Durant tout mon séjour en Europe, c’est cette journée que j’ai préférée. Après la visite de l’usine, les directeurs m’ont reçu au champagne et j’ai été surpris de constater que plusieurs parlaient un Français parfait. La petite cérémonie terminée, nous reprenons la route pour Londres par une autre route et cela, pour me faire voir le paysage de la campagne. Retour à l’hôtel à 18h30. Le chauffeur refuse un pourboire et il me remercie pour cette belle journée qui a été pour lui, comme un congé. 

Mon avant dernière journée à Londres a été employée à visiter la ville. Je me suis entendu avec le gérant de l’hôtel pour avoir un guide honnête qui me ferait voir ce que l’on doit voir à Londres. Le prix a été fixé avant. Dix livres pour la journée, soit $30. J’ai tout visité, et le chauffeur était aussi un guide compétent qui connaissait très bien sa ville. J’ai aimé Londres plus que Paris. 

Me voilà à Paris, au grand hôtel. Première visite, notre maison canadienne où on est bien reçu et aussi, où l’on nous remet une pile de francs pour nos dépenses. Il y avait un programme préparé pour nous, mais je ne pouvais pas voir dans ce programme, quelque chose de constructif pour moi. Je crois même que nous n’avons rien à apprendre des Français dans le domaine de l’alimentation; ils sont vingt ans en retard. 

Il faut donner aux Français ce qui leur appartient, ils savent comment recevoir. Après une semaine de réceptions ici et là, j’avais «mon voyage». J’ai décidé de me rendre à Marseille, où il y avait une usine à visiter. J’ai aimé cette ville où tout le monde est recevant, poli et gai. Il y a de très bons petits restaurants, où l’on mange du poisson bien préparé et très bien servi, et que dire du casino de Monaco. 

Après deux jours à Marseille, je me suis dirigé à Cannes pour trois jours. C’est beau et très intéressant à visiter. Comme cette région est surtout connue pour ses parfums et ses produits de toilette, il y avait peu à apprendre pour notre genre de commerce. 

De retour à Paris, où nous avions encore plusieurs visites au programme, sans oublier qu’il fallait bien visiter la ville et quelques clubs de nuit. J’en avais assez de Paris. J’ai laissé le groupe pour aller en Allemagne, où j’étais certain de voir des usines bien organisées et de vrais hommes d’affaires. 

Mon voyage en Allemagne a été fructueux. Les Allemands sont des hommes très avancés dans plusieurs domaines. J’ai visité une usine de chocolat; c’est quelque chose à voir. Sur la ligne d’emballage de tablettes de chocolat, il n’y a aucune perte de papier, tout est prévu. 

Je comprends pourquoi ce pays s’est relevé si vite des désordres subits à la dernière guerre. La discipline chez les travailleurs est remarquable. Dans ce très bref voyage, j’ai appris plus que dans les autres pays visités. J’ai terminé ce petit voyage par une soirée au casino de Baden-Baden, qui est considéré comme le plus beau au monde. 

De retour à Paris, j’apprends que nous n’avons plus de gouvernement, il a été renversé à la chambre par l’opposition. Après 23 jours en Europe, j’ai commencé à avoir le mal du pays. Une mauvaise nouvelle m’arrive de notre bureau. Le fils de notre gérant des ventes a été tué accidentellement. J’ai décidé de partir le même jour. Mon épouse était à l’aéroport pour me recevoir et j’étais heureux de revoir notre beau pays, et les membres de ma famille. 

Comme je n’avais pas suivi le programme du groupe, certaines de mes dépenses devaient être assumées par moi ou par Lido, mais les affaires n’étaient pas roses chez Lido. Il était entendu avec le ministère du commerce, que nous devions faire un rapport de nos activités en France. J’ai rempli ce rapport, mais j’ai davantage parlé de l’Allemagne et de l’Angleterre. J’ai joint mon compte de dépenses, et j’ai eu la surprise de recevoir un remboursement du ministère. 

Chez Lido, les consultants sont encore au travail et doivent remettre au président, un rapport et leurs recommandations pour corriger la situation. Comme un des consultants avait fait le voyage en France avec moi, j’étais déjà au courant des recommandations contenues dans le rapport. 

En effet, la décision était prise de me demander de reprendre mes fonctions de directeur des ventes. Je n’ai pas accepté immédiatement, car je commençais à mettre en doute plusieurs décisions qui avaient été prises par le passé. J’étais le seul survivant des exécutifs, et le fils du président était de retour de l’université, bien qualifié pour occuper un poste important dans la compagnie. 

Pour minimiser les dégâts, et sur l’insistance des consultants, j’ai accepté de prendre temporairement la direction des ventes. J’ai donc eu la pénible tâche de remercier le gérant des ventes. Je crois que cela aurait dû être fait par le président, mais ce n’était pas du «travail propre». 

À ma première assemblée de ventes, ça été un délire chez les vendeurs, de me revoir prendre charge des ventes et de la publicité. Tous ces changements n’avaient pas aidé le président, moralement et physiquement. Les consultants ont même suggéré que le président se retire partiellement, ou encore qu’il demeure comme président du conseil. Je crois que cela aurait été une bonne décision. 

Après avoir conduit le département des ventes pendant une période de quatre semaines, j’ai constaté qu’il était possible d’améliorer nos ventes et nos profits. J’ai eu plusieurs conversations avec le fils du président. Il était un jeune homme sérieux et hautement qualifié pour devenir président de la compagnie dans un avenir proche. 

Mes conditions pour accepter la direction des ventes étaient que le fils du président soit nommé gérant général, avec comme objectif principal, la production et les prix de revient. Je voulais aussi que mon salaire soit garanti pour quatre ans, c’est-à-dire jusqu’à ma retraite. 

Tous les deux nous nous sommes entendus, et nous étions d’accord que c’était la meilleure solution. J’ai contacté le président, et je lui ai fait part de notre plan. Sur sa suggestion, nous nous sommes rendus à un chic restaurant de la Rive-Sud, pour discuter de ce nouveau plan. 

Le président a trouvé que l’idée était bonne et devant son fils, m’a garanti mon salaire, même en cas de vente de la compagnie, et que je décidais de ne pas joindre la nouvelle organisation. Nous étions tous d’accord, et comme nous nous connaissions bien, nous avons décidé qu’un contrat n’était pas nécessaire. J’ai eu tort. 

Après le dîner, le président nous a conduit au bureau avec sa Cadillac, mais n’a pas voulu entrer, et il s’est écoulé trois semaines avant sa première visite. Son fils et moi n’avons pas perdu de temps à entreprendre le travail de réorganisation qui s’imposait. Nous étions aidés d’un consultant pour une période d’un mois. 


Nous sommes en avril, il s’écoulera deux mois avant que notre travail porte fruits. Nous avançons lentement mais sûrement. Il est rare que nous voyions le président au bureau, il est bien évident qu’il a pris une décision. Les ventes sont bonnes et les profits commencent à être intéressants.Lire la suite...